TechSense est allé à la rencontre du Professeur Mark D. Cole, à quelques jours de la Tech Supreme Court, qui se tiendra le 19 octobre prochain à l’Hémicycle ECCL, au Luxembourg. En tant qu’expert en droit des médias et des télécommunications à l'Université du Luxembourg, il nous a fait part de son point de vue sur le monde en constante évolution de l'intelligence artificielle (IA) et ses implications significatives pour le Luxembourg et l'Union européenne.

TS : Quelle a été votre principale source de motivation pour participer à cette édition de la Tech Supreme Court, centrée sur l’IA ?

MC : « À l'Université du Luxembourg, nos élèves participent régulièrement à des tribunaux-écoles ou tribunaux fictifs, au cours desquels ils affrontent d’autres étudiants provenant du monde entier et débattent sur divers sujets. Je suis partisan de l’enseignement au travers de procédures judiciaires proches de la réalité. Également, cet événement offre une occasion exceptionnelle de participer aux discussions autour de l'un des défis sociétaux les plus cruciaux d'aujourd'hui : doit-on réguler l'intelligence artificielle ou non ? Je suis enthousiaste à l’idée de pouvoir y apporter ma contribution et d’échanger avec d’autres experts. »

TS : Selon vous, quels sont les développements futurs les plus prometteurs dans les domaines des IA ?

MC : « La réponse peut varier en fonction du point de vue que l’on aborde, c’est-à-dire si l’on parle du développement pur des IA ou de leurs impacts sur la société et notre quotidien. Je pense que la technologie est secondaire, car on ne sait pas précisément quelle est la prochaine étape. De plus, je ne suis pas un expert en la matière, donc je ne pourrais pas évaluer l’impact de l’informatique quantique sur le développement de l’IA. En revanche, je peux affirmer que les évolutions se produisent à une vitesse sans précédent. En rétrospective, il est remarquable de voir comment Internet est devenu populaire, il y a 10, 20, voir même 30 ans, et comment les réseaux sociaux ont pris place dans notre vie, en comparaison à d’autres médias plus traditionnels comme la radio. »

« Aujourd’hui, l'adoption et l’évolution de l’IA, notamment des IA génératives, ont dépassé toutes nos prévisions. Son développement s’est réalisé à une telle vitesse qu’il est difficile de suivre toutes ses nouveautés, de comprendre son fonctionnement, son impact et la bonne façon de la réglementer. L’avenir demeure incertain, mais une chose est sûre : il arrive beaucoup plus vite qu’on ne le pense. »

« La question n’est pas tant de définir la technologie en jeu ou les fonctionnalités que nous pourrons utiliser quotidiennement, mais plutôt de comprendre la façon dont notre vie en sera impactée. Nous devrons répondre à des questions sociétales fondamentales, telles que : comment différencier les informations fournies par les IA de celles produites par des sources humaines ? Comment vérifier la véracité des informations ? »

TS : Quel rôle envisagez-vous pour le Luxembourg dans la régulation de l'IA au sein de l'UE ?

MC : « Le rôle du Luxembourg revêt une importance capitale dans les efforts de régulation de l'IA au sein de l'Union européenne. L’UE débat actuellement de la proposition de la loi sur l’IA, mettant l'accent sur les droits de l'Homme. Le Luxembourg jouera un rôle essentiel dans les négociations visant à garantir une cohérence entre les États membres. Il serait absurde pour les 27 membres de l’Union Européenne d’avoir chacun leur propre approche sur le sujet. Il est impératif que nous abordions collectivement la régulation de l'IA au niveau de l'UE pour équilibrer l'innovation avec les considérations éthiques. »

TS : Les préoccupations liées à la vie privée concernant l'IA peuvent-elles être efficacement réduites ?

MC : « Oui, il est possible de répondre aux préoccupations relatives à la vie privée. Le développement rapide de l'IA présente des défis, mais sommes en mesure d’instaurer des réglementations basées sur des principes. La transparence dans les opérations de l'IA est essentielle, puisqu’elle permet aux utilisateurs de comprendre le fonctionnement des algorithmes d'IA, non seulement d’un point de vue technique, avec son fonctionnement, mais aussi en termes d’application. Nous pouvons également imposer des obligations aux développeurs et aux utilisateurs pour prévenir les biais cognitifs et prendre des mesures correctives. Signaler le contenu généré par l'IA pour informer les utilisateurs et les encourager à faire preuve de discernement est également une mesure envisageable. » 

« Le Luxembourg et l’UE doivent trouver un équilibre entre la promotion de l'innovation et la protection des droits fondamentaux alors qu'ils naviguent dans cette ère de transformation. »

Dans cette série spéciale Tech Supreme Court, retrouvez également les interviews exclusives de Viviane Reding, Laurent Kratz, Djamila Aouada, Leila Rebbouh et Maxime Derian.