Tech Supreme Court, AI Edition – Djamila Aouada : L’IA, entre possibilités et responsabilité
Nastassia Haux I 6:34 pm, 17th October
Le 19 octobre prochain, de nombreux experts se réuniront à l’Hémicycle ECCL, au Luxembourg, afin de débattre de l’intelligence artificielle (IA) et de ses enjeux. À quelques jours de l’événement, Djamila Aouada, chercheuse renommée et fondatrice du groupe de recherche Computer Vision, Imaging and Machine Intelligence (CVI2), nous partage sa perspective sur l’IA et les raisons de sa participation à l’événement. Elle aborde les développements futurs de cette technologie, son impact sur l'industrie luxembourgeoise et l'importance de l'ouverture d'esprit et de la collaboration interdisciplinaire pour exploiter pleinement son potentiel.
TS : Quelles sont les raisons qui vous ont incité à participer à la Tech Supreme Court centrée sur l’IA ?
DA : « Ma participation à la Tech Supreme Court est en partie due à son instigateur, Kamel, qui a su me convaincre. Mais l’autre principale raison de mon implication est la possibilité de pouvoir vulgariser le domaine de l’IA. En tant que chercheuse, je suis déjà impliquée dans des activités de sensibilisation auprès des lycéens depuis quelques années, et cette opportunité s'inscrit naturellement dans cette démarche. De plus, j'apprécie beaucoup les échanges et le fait de sortir du cadre traditionnel de la recherche. Mon travail avec l'industrie est principalement axé sur le développement technique, mais cet événement nous offre une opportunité exceptionnelle d'engager des discussions ouvertes, d'explorer différentes perspectives, et j'ai bon espoir que nous en ressortirons tous enrichis de nouvelles idées et connaissances. »
TS : Quels sont les développements futurs qui pourraient être les plus pertinents dans le domaine de l’IA ?
DA : « Notre travail se concentre sur divers aspects de l'IA, à savoir l'automatisation et la navigation, notamment dans des domaines exigeants comme l'exploration spatiale. Il faut souligner que la montée en puissance des modèles de langage de grande envergure (LLM) comme chatGPT a indéniablement été un catalyseur majeur dans le domaine de l’IA. L'une des évolutions les plus intéressantes est une accessibilité accrue. Il est désormais envisageable de rendre les technologies IA plus accessibles à un public plus large, sans nécessiter une expertise technique poussée. Prenons, par exemple, notre travail sur le projet "Scan2CAD," qui vise à automatiser la conception assistée par ordinateur (CAO ou CAD en anglais), une technique essentielle dans le secteur manufacturier. Les logiciels CAD traditionnels sont souvent complexes et demandent une expertise pour les manipuler. Notre ambition d'intégrer l'expertise d'un designer de manière automatisée est de plus en plus réalisable grâce à l’intégration des LLM, ce qui nous permet de nous rapprocher de l’utilisateur. Cependant, il ne s’agit là que d’une des applications possibles. Dans ce cas précis, la créativité s’en trouverait améliorée, notamment grâce au temps que son utilisation permettrait d’économiser. »
TS : En tant que fondatrice et responsable du groupe de recherche CVI2, vous avez joué un rôle clé dans l'avancement de la recherche au sein du SnT, et plus particulièrement dans le domaine de la vision par ordinateur. Pouvez-vous nous faire part de votre vision pour l'avenir de l’IA dans ce domaine spécifique et nous expliquer en quoi votre expertise a contribué à son développement, tant au Luxembourg qu'à l'échelle internationale ?
DA : « Notre groupe de recherche est fortement orienté vers l'industrie luxembourgeoise. Par exemple, nous avons collaboré avec IEE, une entreprise spécialisée dans les capteurs automobiles, pour développer des caméras 3D de surveillance. Actuellement, nous travaillons avec POST Luxembourg sur la détection de deepfakes et d'anomalies en cybersécurité. Cette proximité avec l'industrie nous permet d'avoir un impact immédiat et de contribuer à la mise en œuvre de solutions concrètes. Nous permettons aux entreprises de se tenir informées des dernières avancées dans le domaine mais également à innover et prendre des risques. Nous avons également une collaboration en cours avec Artec 3D sur le projet « Scan2CAD » et l’automatisation de la modélisation CAO. »
« En 2009, lorsque je suis arrivée au Luxembourg, il y avait peu d'activités de recherche en vision par ordinateur et en IA liée à l'imagerie. Nous avons contribué à combler cette lacune. Comme j’ai pu le mentionner un peu plus tôt, notre activité s’étend aussi au domaine spatial. Plusieurs entreprises nous témoignent leur confiance depuis des années et c’est avec une grande fierté que je peux dire que nous avons déjà déployé deux modèles dans l’espace afin de récolter de précieuses données. Le premier est un modèle interne à l’université tandis que le deuxième a été lancé avec notre partenaire industriel. »
TS : Ces éléments feront-ils partie de votre argumentaire pour le procès fictif de la Tech Supreme Court jeudi ?
DA : « Effectivement, mais je compte adapter mon argumentation en fonction des différents témoins et accusations soulevées. Voici un autre argument que j’utiliserai : il faut comprendre que l’IA ne se limite pas seulement aux LLM et n’est pas qu’une source d’inquiétudes. Elle joue un rôle essentiel dans divers domaines, comme l'ingénierie, la sécurité ou la médecine, dans lequel elle favorise l’accélération des diagnostics et assiste les professionnels de la santé dans leurs tâches systématiques. De la même manière, avec des applications telles que Scan2CAD, nous cherchons à intégrer l'expertise directement dans l'IA pour permettre aux experts de se consacrer pleinement à des tâches plus créatives et surtout plus importantes. Il est essentiel de ne pas généraliser les inquiétudes concernant l'IA et de garder l’esprit ouvert. »
« In Fine, l’IA n’est qu’une technologie comme une autre dont les risques dépendent de son utilisation. La clé est d’échanger et entretenir une étroite collaboration avec des experts de domaines variés, qu'il s'agisse de juristes, de techniciens ou d'autres professionnels, pour orienter ces modèles dans la bonne direction. Tout comme avec n'importe quelle technologie, il est important d'encadrer son développement plutôt que de l'arrêter, car il y a un potentiel incroyable pour des applications positives. Les craintes initiales ne devraient pas freiner l'innovation. Au contraire, il est primordial de sensibiliser et d'éduquer les générations futures sur les limites et les possibilités de l'IA, afin de mieux distinguer les faits de la désinformation. »
Dans cette série spéciale Tech Supreme Court, retrouvez également les interviews exclusives de Viviane Reding, Laurent Kratz, Mark D.Cole, Leila Rebbouh et Maxime Derian.
Pour plus d'informations sur la Tech Supreme Court, rendez-vous sur notre page événement.
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